PORTRAITVendeur de rêve, grande gueule et provoc', Laporta est le chien de garde du Barça

Barça-PSG : Joan Laporta, le « vendeur de rêve » qui garde la cote en Catalogne malgré les excès

PORTRAITPersonnage haut en couleur, Joan Laporta est un président fonceur qui ne se soucie guère des qu'en-dira-t-on
Joan Laporta, le charmeur de Socios.
Joan Laporta, le charmeur de Socios.  - LLUIS GENE  / AFP
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Le Paris Saint-Germain a rendez-vous avec l’histoire, mardi, du côté de Barcelone, où les Parisiens devront s’imposer par deux buts d’écart pour espérer se qualifier en demi-finale de C1.
  • De son côté, le Barça avance avec une confiance retrouvée, à l’image de son truculent président Joan Laporta.
  • De retour à la tête du club en 2021, après un premier mandat couronné de succès entre 2003 et 2010, ce Catalan haut en couleur dirige le club en n’en faisant qu’à sa tête.

Truculent président du FC Barcelone de 2003 à 2010, Joan Laporta n’a ni le physique ni la démarche chaloupée des chats de gouttières, ce qui ne l’empêche pas, comme eux, de toujours retomber sur ses pattes. De retour aux manettes du club catalan en 2021, celui-ci avait en grande partie axé sa campagne électorale sur sa capacité à pouvoir garder Messi dans le giron barcelonais.

Mais une fois élu, à la veille du match retour de Ligue des champions face au PSG bouclé sur une rouste mbappesque, celui que la presse locale surnommait à l’époque le « Kennedy barcelonais », gueule carrée et sourire ultra-bright, ne pourra tenir sa promesse, pris au piège de la dure réalité économique d’un club au bord de la banqueroute. Trois ans plus tard, à l’heure de retrouver Paris en quart de finale retour de C1, Messi est parti mais lui est toujours là, en plus enveloppé.

D’autres à sa place ne se seraient jamais relevés d’un tel échec, mais les voies de Joan Laporta sont impénétrables. « Il a cette aura de gourou lui a permis par je ne sais quel miracle de passer entre les gouttes. C’est la seule personne au monde qui peut perdre Messi et s’en sortir indemne, je ne me l’explique pas », nous confie Roger Vinton, auteur de l’essai El Barça davant la crisi del segle (« le Barça face à la crise du siècle »). Ancien suiveur au quotidien du Barça pour le journal L’Equipe, Florent Torchut a, lui, quelques pistes à mettre sur la table pour comprendre ce phénomène inexpliqué.

« Il a une forme de bonhomie qui fait que, globalement, il est très attachant aux yeux des gens. Je l’ai rencontré en 2021 à son siège de campagne, on est arrivés, il y avait un baby-foot à l’entrée, il s’est mis derrière et il m’a dit ''allez on fait un petit match''. Il me fait penser à ces politiques de la vieille école, les Chirac, Tapie, qui ont ce côté très proche du peuple, qui savent te mettre à l’aise, toujours le sourire, avec le bagou qui va avec. C’est un malin, il sait te mettre dans sa poche », relate notre confrère.

Un animal politique hors pair

Si son court passage en politique s’est soldé par un échec, en 2010, après avoir cédé la présidence du Barça à Sandro Rosell, cet ancien avocat maîtrise tous les codes du milieu. Grand communicant, grande gueule et volontiers provocateur, Laporta s’était amusé pendant sa dernière campagne à déployer une banderole électorale de cinquante mètres de haut sur la façade d’un immeuble de Madrid, tout proche du stade Santiago Bernabeu. On l’y voyait, tout sourire, accompagné de ce formidable message à l’attention des supporters madrilènes : « Hâte de vous revoir ».

Laporta, roi des trolls.
Laporta, roi des trolls.  - Zipi

Son retour en grâce ne faisait aucun doute à l’époque. Car qui mieux que Laporta pour redonner au Barça sa grandeur d’antan, lui qui avait déjà réussi ce tour de force en 2003, en faisant du FCB une machine à gagner sous Rijkaard, d’abord, puis Guardiola, alors que le club ne mettait plus un pied devant l’autre sous la présidence, “désastreuse” dixit Vinton, de Gaspar.

« C’était une situation similaire à ce qu’il s’est passé en 2003, avec des Socios très remontés contre les dirigeants. Bartomeu a réalisé un mandat catastrophique, pire encore je pense que celui de Gaspar, et la colère et le désespoir étaient à leur comble, décrit Vinton. Comme souvent dans ce cas-là, on se repose sur ce qui a marché par le passé, sur celui qui a permis le retour du club au premier plan. »

Un personnage clivant qui ne laisse pas indifférent

Il a aussi permis aux socios de retrouver un peu de leur fierté perdue, ce qui n’est pas rien quand on se targue de supporter « mes que un club » (« plus qu’un club »). Florent Torchut : « Les socios se sont toujours sentis un peu spéciaux. Et ce côté Don Quichotte que peut avoir parfois Laporta, ça leur plaît pas mal. Il défend bec et ongles les intérêts du club, il met en avant la catalanité. Ils se sentent fiers d’avoir un homme comme ça qui les défend et les représente. » Chien de garde du club, celui-ci ne rechigne jamais à faire le sale boulot et à mordiller les mollets de ceux qui attaquent son Barça, quitte à grossir chaque jour un peu plus la longue liste de ses ennemis.

« Il a un caractère tellement fort, radical, qu’il est très clivant. Avec lui, c’est tout ou rien, on l’adore ou on le déteste, sourit Vinton. Il ne cherche absolument pas à se faire bien voir de tous, il a conscience que son personnage et ses méthodes ne peuvent pas plaire à tout le monde et il s’en accommode parfaitement. »  »

Ce fut le cas hier quand Leonardo et le PSG ont osé draguer ouvertement Leo Messi, c’est encore le cas aujourd’hui quand il s’agit de dézinguer Nasser Al-Khelaïfi, « celui qui gouverne l’UEFA ». Idem dans l’affaire Negreira, ce scandale arbitral impliquant le Barça et dans lequel il a été inculpé, où il n’hésite pas à crier au complot contre une Liga aux ordres du tout-puissant Real Madrid du parrain Florentino Perez.

« Même s’il ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants de l’affaire Negreira, il est offensif coûte que coûte, quitte parfois à faire preuve de mauvaise foi », convient notre confrère de France Football. « Il y a deux types de personnes : ceux qui veulent maîtriser leur sujet à 100 % avant de l’ouvrir, et il y a les autres qui, comme Laporta, foncent et improvisent sur le moment, analyse Roger Vinton. Il pense que la forme prend le pas sur le fond et que, quoi qu’il arrive, de par sa gouaille, son aisance, il finira par avoir gain de cause. »

« Ce qu’il veut, c’est que les gens le croient »

C’est ce qui s’est passé lors des dernières élections. Conscient qu’on ne convainc pas les socios en leur promettant du sang, des larmes et de la pâté pour chien, Laporta choisit l’option marchand de tapis. « C’est un vendeur de rêve, abonde l’auteur catalan spécialiste du Barça. Au lieu de tenir un discours de raison, d’expliquer aux socios que le club courait à la faillite et qu’ils allaient devoir se serrer la ceinture, il a préféré parler du recrutement de Haaland ! La réalité lui importe peu. Ce qu’il veut, c’est que les gens croient, qu’ils aient foi en l’avenir et en ce qu’il dit. »

Ce qui ne l’empêche pas d’être conscient des difficultés que traverse le club. Simplement, il les surmonte à sa manière. En vendant par exemple certains actifs du club comme Barça Studios, la filiale chargée de gérer les réalisations audiovisuelles et les négoces numériques du club. « Au niveau financier il a un peu bricolé mais ça reste des solutions court ou moyen-termistes, c’est à double tranchant. Le but était de rester tout de suite compétitif dans l’ère post-Messi, décortique Torchut. Il a fait en sorte que sportivement et économiquement ce soit le cas. Sur le plan des résultats ça marche, mais on sait que le club est encore endetté et qu’il a toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête. »

Cette politique court-termiste ne plaît d’ailleurs pas à tout le monde. C’est le cas de Toni Freire, président des penyas du FC Barcelone dans le monde entier : « Sa gestion de la dette n’est pas la bonne selon moi. Je ne pense pas que la vente des actifs soit la meilleure solution. Sur le plan économique, je ne suis pas convaincu par les leviers choisis. Et sur le plan institutionnel, je constate à nouveau des démissions de personnes importantes au conseil d’administration, ce qui est très inquiétant. »

Malgré quelques kilos en trop, Laporta n'a rien perdu de son viage de filou.
Malgré quelques kilos en trop, Laporta n'a rien perdu de son viage de filou.  - FRANCK FIFE

Un Laporta sans aucun garde-fou

C’est aussi le revers de la médaille du bulldozer Laporta. Son caractère volcanique et cette tendance à vouloir tout contrôler l’ont peu à peu isolé. Comme en 2005, lors de la scission avec Sandro Rosell, qui avait déjà engendré à l’époque une vague de départs préjudiciable pour la stabilité du club.

« Le meilleur Laporta, c’est celui qui savait s’entourer de personnes compétentes en laissant chacun travailler dans son département. Dès que cela a cessé, le déclin institutionnel et social a commencé, regrette Toni Freire. Le problème c’est que Laporta a beaucoup d’ego et qu’il n’aime pas être contredit. » « A l’époque, ces personnes parvenaient à contrôler ses excès et lui fixer quelques limites, confirme Vinton. Or ces gens-là ne sont plus là aujourd’hui, il est seul dans l’exercice du pouvoir et il devient peu à peu une caricature de lui-même. »

« Ce n’est plus le même Laporta. Physiquement, déjà. Il a pris un peu d’embonpoint. Ce n’est plus ce jeune avocat dynamique qui était à la tête du grand Barça. Le club a perdu de sa superbe, lui aussi, un peu, convient notre confrère de France Foot et auteur du livre Le Roi Leo. Il a pris de la bouteille mais il a aussi pris un petit coup de vieux. Donc oui, il peut parfois tomber un peu dans la caricature, il va parfois un peu trop loin, mais ça fait partie du personnage. » Et si le Barça se qualifie pour les demi-finales mardi soir, on peut encore s'attendre à un grand show de ce président sans limites.

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