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L'édito de la revue de l'After: Luis Enrique, leader maximal

On compare souvent Luis Enrique et Pep Guardiola. Si leur football se ressemble par instant, une différence profonde les distingue:  l’un est un leader, l’autre est un maître.

On joue comme on parle. Quand Xavi et Luis Enrique se croisent dans le couloir qui mène des vestiaires à la pelouse du Parc des Princes quelques minutes avant le coup d’envoi, Luis Enrique donne du "Pelopo!" pour héler son ami. Pelopo, c’est le surnom donné à Xavi dans le vestiaire du Barça, blague triviale mettant en rapport ses cheveux et des poils pubiens. "Quelle agressivité! Quelle agressivité!", lui répond l’entraîneur du Barça qui ne semble pas goûter l’humour passif-agressif de son compère. Luis Enrique, hystérique, soulève Xavi de terre, 24 heures après avoir assuré son auto-promo au détriment de son ami devenu rival — "Je suis le premier représentant du style Barça", a osé l’entraîneur du PSG actuel. A les voir ainsi deviser — "Tu vas protester encore aujourd’hui? Hein?", en rajoute Enrique — une impression de malaise domine.

Et pour cause. 90 minutes plus tard, le Barça repart du Parc avec une victoire et un espoir. "Le résultat a de toute évidence désavoué mes décisions. Je suis un sportif-né, je le reconnais". En effet. Quand on revoit le match au calme, on constate l’objectif "d’imprévisibilité" a bien été rempli mais est au détriment de ses propres joueurs: 4 joueurs de champ sur 10 (Marquinhos, Vitinha, Kang-in Lee, Asensio) ne démarrent pas le match à leur poste naturel. Curieusement, les initiatives de l’entraîneur, censées assurer le privilège du collectif sur les individus, a fini par affaiblir la vitalité de son équipe. Prenez un corps humain, placez une main à la place d’un pied, un foie à la place d’un poumon, il survivra peut-être mais beaucoup moins bien que celui dont les membres demeurent à la place que leur a confié la nature. Un corps n’est pas une simple addition arbitraire et mécanique de parties qui feront un tout. Sinon, Kylian Mbappé serait déjà Ballon d’Or et le Docteur Frankenstein prix Nobel de médecine.

Trône surplombant

Car, au fond, il y a un paradoxe dans le système Luis Enrique: le football qu’il défend (horizontalité, jeu de position, valeurs collectives) est contradictoire avec sa manière de l’enseigner. Un peu comme si l’on entendait cultiver la politesse à grand coup de mandales et de coups de pied au cul, ses méthodes faites de verticalité et d’autoritarisme semblent désavouer l’horizon collectif et participatif de son football. Car si Pep Guardiola semble avoir fait école auprès d’anciens élèves nombreux (voyez Xabi Alonso, Mikel Arteta) ou de simples admirateurs (Michel à Gérone, Pierre Sage à Lyon) c’est au nom, d’abord, d’une méthode et d’une obsession: transmettre et progresser. Il serait trop long ici d’évoquer la liste des convertis à la Pep-philosophie mais en voici un florilège: "Pep m’a déprogrammé et m’a ensuite reprogrammé" (T.Henry). "Il m’a élevé à un niveau que je ne pensais pas atteignable" (Rodri). Le meilleur trophée possible: qui se souvient du Bernardo Silva de Monaco? Du Rodri de l’Atletico? Du Stones d’Everton?

Leur football a beau être proche, la comparaison avec Pep Guardiola ne tient donc pas. Car leurs visées et leurs méthodes sont opposées. Camarade de promotion de diplôme d’entraîneur, les deux hommes représentent deux manières opposées d’envisager leur travail. Pep, en perpétuelle combustion intérieure depuis 2008, obsédé par la tactique et la progression de ses joueurs, prône un football liquide en perpétuelle réinvention. Il est l’un des premiers à dessiner des couloirs sur le terrain pour modéliser les espaces et les demi-espaces qui seront les référents de son équipe. Chez Luis Enrique, il n’est pas question de dessiner des rectangles et de se placer au milieu de ses joueurs comme une assemblée. Hissé sur une plateforme qui ressemble à un trône surplombant il dirige à la baguette les mouvements "à 5 à 6 mètres de hauteur, explique-t-il dans une vidéo du club, je peux voir la partie tactique de chaque entraînement. (…) C’est une manière de pouvoir m’adresser aux joueurs et de les corriger sur le moment." En sélection il avait ajouté à ce curieux panoptique une radio, des oreillettes pour chacun de ses joueurs et un écran sur le bord du terrain. Quand Pep adore échanger et offrir souvent des conférences de presse de nature pédagogique, Luis Enrique, au nom de la vision disciplinaire de son travail, préfère choisir lui-même les questions qui lui plaisent sur Twitch. Il est intarissable pourvu qu’il fasse les questions et les réponses.

Telle est peut-être la fragilité de ce coach en même temps que sa force: son caractère. Sur ce point, effectivement, il ressemble à Johan Cruyff (qui l’a recruté mais jamais entraîné) mais aussi beaucoup à Javier Clemente, son autre idole (qu’il a eu en sélection de 1992 à 1998). Les deux glorieux prédécesseurs ont fini leur carrière sur le banc dans un claquement de porte. Si l’héritage de Cruyff est bien supérieur à celui de Clemente c’est grâce à la qualité de ses disciples et de ses sectateurs (Laporta sur le plan institutionnel, Seirul.lo sur le plan théorique, Guardiola sur le plan pratique). Lucho est un torero solitaire, du genre de Belmondo dans Un Singe en hiver "Le Torero rentre toujours seul, plus il est grand, plus il est seul". S’il a le mérite d’avoir redonné une identité de jeu au PSG et replacé le football au centre, il peine à faire école c'est-à-dire à inspirer ses adversaires autant que ses joueurs.

Maître et leader

"Je suis le seul leader de mon équipe", dit-il à son arrivée au Barça 2014. En effet, Lucho est un leader et Pep est un maître. Quelle différence? L’un règne par sa force, l’autre par son savoir. Un peu comme au vélo (qu’il aime tant) Luis Enrique est un leader qui impose sa force aux autres. Car Lucho n’explique pas, il pousse. Lucho ne commente pas, il pédale. S’il décide de rappeler Mbappé contre Rennes (à l’heure de jeu) et contre Monaco (à la mi-temps) ou de ne pas le mettre dans les meilleures conditions pour s’exprimer (Asensio contre le Barça, vraiment?), c’est évidemment pour faire étalage de sa force de dissuasion. La recette est connue: quelques accélérations de temps en temps et ensuite laisser faire l’imagination.

Problème. Un souvenir revient. Janvier 2015, après avoir refusé un but de Messi à l’entraînement et osé mettre l’idole sur le banc au match suivant à San Sebastian (défaite 1-0), le génie des Asturies a dû accéder aux prières de ses poilus Javier Mascherano et Xavi. La star du Barça ne supportait plus le management brutal de son coach. Lucho a dû mettre de l’eau dans son vin. Messi est par magie revenu sur toutes les feuilles de match et le leader s’est plié à la loi d’un plus fort que lui. Cinq mois plus tard, le Barça remporte son second triplé. Une leçon, celle de Rousseau, pour finir: "Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître". Si le règne du leader dure ce que dure sa force (et finit donc par décliner) l’autorité du maître grandit à mesure que son héritage se transmet au plus grand nombre.

Thibaud Leplat