INTERVIEW« Ça m’a forgée », Dumornay raconte ses débuts « pieds nus » à Haïti

OL-PSG : « Je me sentais grave confortable en jouant pieds nus »… Melchie Dumornay nous plonge dans ses débuts à Haïti

INTERVIEWLa prometteuse attaquante haïtienne de l’OL (20 ans) pourrait être un atout majeur lors de la demi-finale aller de la Ligue des champions, ce samedi (19 heures) à Lyon-Décines
Melchie Dumornay a débuté son aventure lyonnaise en septembre 2023 en marquant lors du Trophée des championnes remporté face au PSG (2-0).
Melchie Dumornay a débuté son aventure lyonnaise en septembre 2023 en marquant lors du Trophée des championnes remporté face au PSG (2-0).  - Daniela Porcelli / SPP/Sipa USA/SIPA / SIPA
Jérémy Laugier

Propos recueillis par Jérémy Laugier

L'essentiel

  • L’Olympique Lyonnais affronte ce samedi (19 heures) le Paris Saint-Germain, pour une demi-finale aller de la Ligue des champions 100 % française.
  • Parmi les principales recrues de l’OL l’été passé, Melchie Dumornay est de retour après une longue blessure à la cheville.
  • 20 Minutes vous propose un long entretien avec l’attaquante haïtienne de 20 ans, qui nous plonge dans son enfance, où sa découverte du football s’est faite pieds nus, sur cailloux et uniquement aux côtés de garçons.

Au centre d’entraînement de l’OL,

La chance qu’a tant rêvé d’avoir « Corventina » dans la compétition reine est sans doute là. Freinée dans son ascension durant quatre mois par une blessure à la cheville, Melchie Dumornay a dynamité l’attaque lyonnaise lors de ses deux entrées en jeu contre Benfica en quart de finale de la Ligue des champions (2-1, 4-1).

Au moment de défier le PSG pour la demi-finale aller, ce samedi (19 heures) au Parc OL, l’attaquante de 20 ans pourrait bénéficier du forfait d’Eugénie Le Sommer (blessée) et des incertitudes planant sur Delphine Cascarino et Ada Hegerberg pour montrer d’emblée tout son talent. Celui d’une jeune fille haïtienne ayant découvert le football dans son quartier de Mirebalais, pieds nus, dans la rue, uniquement avec des garçons, et souvent « sans vrai ballon ». Un parcours tortueux et inspirant que l’ancienne révélation du Stade de Reims raconte à 20 Minutes.

Melchie Dumornay a fait parler son explosivité, dans un rôle de joker, lors de la double confrontation contre Benfica en quart de finale de la Ligue des champions.
Melchie Dumornay a fait parler son explosivité, dans un rôle de joker, lors de la double confrontation contre Benfica en quart de finale de la Ligue des champions. - Pauline Figuet/SPP/Shutterstock/SIPA

Quels souvenirs conservez-vous de vos premiers pas dans le football à Haïti ?

Ce sont des moments qui sont gravés en moi à tout jamais, déjà parce que je les ai partagés avec mes amis d’enfance, que je côtoie encore aujourd’hui. Le football m’a choisie dès ma naissance, ça s’est fait naturellement, alors que personne ne m’a jamais poussé dans cette voie. C’est comme ces enfants qui prennent plaisir à jouer à la marelle, à faire de la corde à sauter, à chanter. Moi, c’est depuis toujours le football qui me passionnait. Je m’amusais plus là que dans tous les autres jeux.

A quoi ressemblaient ces matchs de football improvisés… et souvent sans ballon dans les rues de votre quartier à Mirebalais ?

En fait, on aurait pu avoir accès à un vrai ballon, mais nos parties de foot se seraient alors terminées beaucoup plus vite sur nos petits terrains de cailloux non appropriés au ballon. On considérait donc ça comme des dépenses inutiles (sourire). Tout pouvait nous servir de ballon : un citron, des chaussettes qu’on remplissait d’éponges, c’était inoubliable. Forcément, quand je vois le grand écart qu’il y a entre les conditions que je connaissais alors, en jouant pieds nus au début de ma carrière, et ce niveau professionnel aujourd’hui, je sais que je vis un rêve.

Avez-vous parfois souffert physiquement en jouant à chaque fois pieds nus sur des cailloux ?

Oh oui, je me rappelle avoir eu des douleurs aux pieds, avec même des morceaux de verre qui me coupaient. Mais quand on joue au quartier, on enlève le bout de verre du pied et on reprend le jeu (rires). C’est aussi ce qui me permet d’être là aujourd’hui.

En quoi était-ce précieux de découvrir le football sans chaussures selon vous ?

Certaines familles du quartier n’avaient pas les moyens de s’acheter des baskets, et certains enfants trouvaient cela beaucoup plus confortable de jouer pieds nus. C’était mon cas en fait. Au début, je me sentais grave confortable ainsi. Jouer pieds nus m’a permis d’avoir cette maîtrise du ballon et de savoir parfaitement utiliser toutes les surfaces de mon pied.

Mais une fois que j’ai quitté mon quartier, j’ai pris conscience de l’importance d’avoir des chaussures pour protéger mes pieds. Nos pieds sont un trésor, il faut en prendre soin. Et maintenant, je n’arrive plus à jouer pieds nus (sourire).

Étiez-vous la seule fille participant à ces matchs dans la rue à cette époque à Mirebalais ?

Oui, j’avais alors 10 ans et certains garçons qui jouaient face à moi en avaient 16. Ça a été très important pour moi de commencer le football avec des garçons. La vitesse de jeu et les contacts n’étaient pas les mêmes que si j’avais débuté uniquement contre des filles. Ça m’a permis d’aiguiser ma qualité technique et mon explosivité. Ça m’a poussée à jouer simple, à être intelligente pour éviter les obstacles et les contacts, à élargir mon champ de vision et mes déplacements, autant de choses qui sont très importantes dans notre football aujourd’hui.

Tout ça, je le dois à mes débuts avec des garçons. Et psychologiquement, ça m’a aussi forgée, ça m’a appris à être forte. Je ne me suis jamais dit que j’étais une fille qui jouait contre des garçons. Non, je me mettais d’égal à égal avec eux. Pour moi, il n’y avait pas de différence de sexe sur le terrain.

Comment êtes-vous parvenue à vous faire accepter dans ce foot de rue habituellement réservé aux garçons ?

Ce n’était pas facile au début. Mais ils ont peu à peu remarqué dans le quartier que j’étais plutôt douée. Lorsque les équipes se formaient, je n’étais pas cette personne choisie en dernier, ce qui est une petite humiliation. Je trouvais que c’était bon signe (sourire). En tout cas, les garçons ne me faisaient jamais de cadeaux, et j’appréciais énormément ça, je préfère mériter les choses.

A-t-il été délicat aussi de convaincre votre famille concernant votre pratique du football ?

Oui, ma mère me laissait très peu sortir. J’ai commencé à me faire repérer par plusieurs personnes dans le football à Haïti, qui pensaient que j’étais un garçon (sourire). Ils ont contacté ma mère pour lui proposer que j’intègre le centre de formation « Camp Nous », situé à Croix-des-Bouquets. C’était dur pour ma mère car je n’avais que 11 ans, mais elle a fini par comprendre qu’il y aurait de grandes opportunités pour moi en dehors du quartier.

Était-ce possible de rêver d’un destin de footballeuse professionnelle, en tant que jeune fille vivant dans un quartier à Haïti ?

A cette époque, je rêvais de pouvoir jouer un jour dans un beau stade, mais c’était impossible de voir des matchs féminins de football à la télévision à Haïti, et donc de se projeter sur du football professionnel. J’étais assez loin de ça. Je pense aussi que dans le monde entier, la femme doit s’occuper de la maison, des tâches ménagères. Je suis passée par ces règles-là, cette société-là qui est plutôt difficile.

C’était dur de faire admettre que les filles avaient aussi le droit de pratiquer le football. Mais j’ai eu la chance que ma mère ne soit pas trop stricte. Elle ne m’interdisait pas le foot parce qu’elle voyait que j’étais épanouie grâce à ce sport. Elle ne voulait pas m’empêcher de faire ce que j’aimais. Mais il y avait des conditions : il fallait que tout soit nickel à la maison avant que je puisse aller jouer.

Vous mesurez aujourd’hui 1,60 m. On imagine qu’il a aussi fallu convaincre les entraîneurs que vous aviez un avenir au haut niveau avec un tel gabarit, non ?

C’est certain. A mes débuts au centre de formation, tout le monde ne voyait que ma petite taille et mon physique assez fragile, même si je jouais à partir de là avec des filles. Mais une fois que les gens me regardaient vraiment jouer, ils voyaient qu’il y avait quelque chose d’un peu spécial. Je voulais grandir, être forte, et c’est d’ailleurs pour ça que je me suis mise très tôt, sérieusement, à la musculation.

Durant l'été 2018, Melchie Dumonay se révèle aux yeux du monde lors de la Coupe du monde féminine U20 disputée en France, alors qu'elle est seulement sur le point de fêter... ses 15 ans !
Durant l'été 2018, Melchie Dumonay se révèle aux yeux du monde lors de la Coupe du monde féminine U20 disputée en France, alors qu'elle est seulement sur le point de fêter... ses 15 ans ! - CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Vous intégrez le club de l’AS Tigresses à Port-au-Prince en 2017, puis vous êtes invitée pour une semaine de stage à l’Olympique Lyonnais en novembre 2018. A quel point cela a-t-il été compliqué de retourner à Haïti après avoir goûté, à seulement 15 ans, à des entraînements avec la meilleure équipe d’Europe ?

Je voulais vraiment commencer ma carrière en France car l’une des joueuses haïtiennes que j’admirais beaucoup, Nérilia Mondésir (25 ans), venait de quitter l’AS Tigresses pour signer à Montpellier. Concernant le stage sans suite avec l’OL alors, une partie des explications était liée à mon jeune âge, mais il y a d’autres détails que même moi, je ne connais toujours pas. Mais c’est tant mieux, peut-être que je ne serais pas là aujourd’hui si l’essai à Lyon avait déjà abouti à l’époque. C’était difficile à encaisser d’attendre aussi longtemps ensuite à Haïti mais je savais que j’allais revenir. Je n’ai pas abandonné, j’ai travaillé dur, et je suis très fière de ça.

Vous vous révélez finalement à Reims, votre première expérience loin de votre pays de 2021 à 2023, avant d’arriver pour de bon à Lyon l’été dernier. Une évidence pour vous ?

Après mon stage à Lyon, tout ce que je voulais, c’était de porter le maillot de ce grand club. L’un de mes rêves est donc devenu réalité.

Après sept mois de compétition avec l’OL, marqués par vos six buts inscrits mais aussi par une grosse blessure à la cheville, vous sentez-vous là pour rafraîchir un effectif ayant déjà tout gagné et pour un rôle de joker offensive ?

Même si je n’ai pas encore eu la possibilité d’avoir autant de trophées que les filles qui étaient déjà au club, j’ai une mentalité de gagnante, et c’est ce que tout le monde partage dans ce club. Je m’intègre bien dans le groupe, le choix des titulaires appartient à la coach. On a vu sur mes entrées face à Benfica en quart de finale que je voulais essayer de changer la donne.

Avant de vous affronter en demi-finale de la Ligue des champions, vous trouvez-vous des points communs avec la révélation du PSG et meilleure buteuse de D1 Tabitha Chawinga, tant dans votre parcours que votre bluffante vitesse ?

Je la félicite déjà pour ce qu’elle fait en ce moment. On arrive à se débrouiller dans un pays et une culture qui ne sont pas les nôtres, et on a toutes les deux connu le football dans la rue. Mais je pense qu’on reste des joueuses aux qualités assez différentes. J’ai développé ma vitesse mais ma première qualité, c’est l’explosivité.

Qu’avez-vous ressenti, le 22 février 2023, lorsque vous avez inscrit un doublé contre le Chili (2-1) synonyme de qualification pour la première Coupe du monde de l’histoire de la sélection haïtienne ?

Pour moi mais aussi pour tout le peuple haïtien, ça reste un moment historique. On rêvait de ça et je suis très honorée d’avoir pu donner cette opportunité-là à toutes mes coéquipières. Au Mondial, on n’était pas très loin. On a perdu nos trois matchs de poules, mais qu’avec des petits écarts. Cette qualification est quand même inoubliable.

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