Pensées sombres, alcool, bagarre avec la police... Geoffrey Claeys (ex-Cercle et chassé d’Anderlecht) sort du silence: “J’étais gêné d’être dépressif”
Interview touchante avec Geoffrey Claeys, cet ex-Diable rouge du Cercle qui a échoué à Anderlecht et qui se bat contre ses démons intérieurs depuis plus de 25 ans.
- Publié le 27-04-2024 à 12h11
- Mis à jour le 27-04-2024 à 12h14
Si Anderlecht est encore premier avant sa visite au Cercle, c’est grâce à ses formidables supporters. Mais le public des Mauves peut aussi avoir un tout autre visage. Geoffrey Claeys (49 ans), un produit du Cercle, en est l’illustration. Il y a 25 ans, les fans l’ont chassé du Parc Astrid après quelques mauvaises prestations avec le Sporting. Dans la foulée de son échec au RSCA, le Brugeois a fait plusieurs dépressions, mais il est enfin en train de sortir du trou. “Je ne le cache pas, je suis encore en thérapie”, dit-il pendant notre interview touchante.
”Verschueren voulait me déshériter”
Retour au milieu des années ‘90. Grand, gaucher, médian et défenseur, le Cercliste Claeys est un des plus grands talents du foot belge. À la veille de la finale de la Coupe de Belgique Club Bruges – Cercle (”2-1, mais avec le VAR cela aurait été 2-2"), il est la surprise de Wilfried Van Moer dans la sélection des Diables pour le match amical en Italie et il est sur les tablettes d’Anderlecht et du Club Bruges. “J’avais parlé avec le Club Bruges, puis Jef Jurion m’a invité au restaurant Saint-Guidon avec Michel Verschueren et Constant Vanden Stock, qui me voulaient vraiment. Je leur avais donné ma parole pour un contrat de cinq ans. Le lendemain, Wim Kooiman (ex-Anderlecht et de retour au Cercle) me dit dans la douche : ‘Feyenoord va t’appeler’. J’avais déjà été au Kuip, j’étais sous le charme de ce club. Et j’ai signé à Rotterdam. Mais ensuite, il fallait annoncer cette nouvelle à Verschueren. Furieux, il m’a traité de tous les noms d’oiseaux. Avant de raccrocher, il m’a lancé : ‘Si tu étais mon fils, je te déshériterais !’ J’avais trahi ma parole et je le regrettais.”
”Détruit, mais j’ai battu Zidane avec Feyenoord”
Après avoir marqué le premier but avec les Diables en Italie (2-2), Claeys connaît plus de bas que de hauts à Feyenoord. “C’était une fameuse équipe, avec Koeman, van Bronkhorst et Larsson. Et Don Leo Beenhakker comme coach. Feyenoord – Grêmio au fanday m’a permis de me confronter avec la réalité : le niveau était bien supérieur à celui du Cercle ! Wim van Hanegem, icône du club, m’avait aussitôt détruit dans les médias. Il n’avait pas réfléchi à ce que cela pouvait me faire en tant qu’être humain. J’ai quand même joué des matchs de haut niveau, dont les 90 minutes lors de notre victoire 2-0 contre la Juve de Zidane et Deschamps. Je suis monté au jeu avant le repos contre Manchester United (défaite 1-3), où je me retrouvais face à Beckham. J’ai encore les maillots de Poborsky et Cole. Mais après deux saisons, je voulais partir. Je jouais peu et je n’étais donc plus repris en Diables. Et il y avait de l’intérêt. Gerets me voulait au Club Bruges, mais il y avait aussi… Anderlecht.”
”De Boeck connaissait mon salaire”
En effet, Verschueren revient à la charge. “Il m’a pardonné mon infidélité de 1996. Je me souviens du décor : les grosses fardes étaient empilées sur son bureau. On a vite trouvé un accord. Antoine Vanhove, le directeur de Bruges, n’a pas voulu faire de la surenchère : il a pris le Serbe Lesnjak. Arie Haan, le coach d’Anderlecht, me voulait comme défenseur central, aux côtés de Staelens. Lors d’un stage avant la saison, je partageais la chambre avec Glen De Boeck. Il savait exactement combien je gagnais. Et il me disait combien il me trouvait impressionnant dans l’entrejeu. Il n’était pas bête, Glen. Il avait peur que je prenne sa place en défense (rires). Il fallait avoir un grand ego pour réussir à Anderlecht, ce que je n’avais pas. Dans le vestiaire, je me retrouvais entre Stoica et Scifo. Enzo, c’était la classe. Et Alin, c’est le plus grand talent que j’ai croisé. Mais parfois, il me disait : ‘Geoff, moi un peu mal. Moi pas m’entraîner.’ Crasson, lui, était le champion de l’imitation : de Verschueren, de Dockx, de Weber. Vous savez que je suis encore en contact avec Zetterberg via Facebook ?”
””Même hué quand je m’échauffais”
À Osijek, en Coupe d’Europe, Claeys commet sa première bourde. “Certes, j’ai marqué le 2-1. Mais j’ai provoqué un bête penalty et on a perdu 3-1 (Anderlecht se qualifie au retour après un 2-0)." À la 34e d’Anderlecht – Charleroi (1-1), Haan le remplace par Stoica. “Puis, j’ai mal joué comme arrière gauche en Coupe à Denderleeuw, où on s’est fait éliminer. La goutte qui a fait déborder le vase, c’était un Anderlecht – Standard. J’ai trop facilement laissé centrer Remacle vers Mbo Mpenza sur le 0-1. Et après une passe en retrait trop courte vers De Wilde, tout le stade s’est retourné contre moi. Je me suis effondré. J’étais paralysé. Dockx et Vercauteren ont essayé de me mettre sur le banc dans les matchs suivants, mais même cela ne plaisait pas au public. Les gens me sifflaient déjà quand je me levais pour m’échauffer. Puis, Frankie m’a expliqué qu’il ne pouvait plus me sélectionner. Il avait raison. Mais entre-temps, les fans m’avaient cassé en tant qu’homme. Je devais venir voir les matchs depuis la tribune, mais j’avais peur des supporters. Le 3e gardien De Coninck et Ole-Martin Aarst tentaient de me remonter le moral et j’en parlais avec Staelens lors de nos trajets entre Bruges et Anderlecht. Mais en réalité, je me sentais très seul. C’était un soulagement de pouvoir quitter Anderlecht et d’être prêté à Alost. Bien sûr que j’étais fâché sur les supporters. Mais je ne leur en veux plus. J’accepterais volontiers d’aller voir un match au Parc Astrid, mon premier en tant que spectateur depuis mon départ en 1999.”
”Grosse dépression au Lierse, mais je me taisais”
À Alost, Claeys retrouve initialement le plaisir du football. “Le coach Hulshoff me laissait même choisir à quelle position je voulais jouer. Bizarrement, j’ai toujours fait de bons matchs à Anderlecht, que ce soit avec le Lierse ou ensuite avec Mouscron. Je voulais montrer aux fans que je n’étais pas si mauvais que ça. Je me souviens d’un 0-0 entre Anderlecht et Mouscron, j’avais mis Aruna dans ma poche. Vercauteren, qui était T2, est venu me féliciter. Ça, c’est la toute grande classe de sa part.” Mentalement, toutefois, Claeys va de mal en pis. “Lors du stage hivernal avec le Lierse en Turquie, je n’avançais plus. Alors que j’étais toujours parmi les trois premiers quand on faisait des entraînements physiques. Les analyses sanguines ne révélaient rien d’anormal. Mon papa savait ce que j’avais et cela s’est confirmé lors d’une visite chez un psychiatre : j’avais une grosse dépression. Dans la vie normale, un employé prend un congé de maladie d’un an. Mais dans le foot, on ne peut pas se le permettre. Seul le médecin du club le savait. Des médicaments m’ont permis de terminer la saison. Mais je n’en parlais à personne. Je ressentais de la gêne.”
”L’alcool et la dépression : un cocktail qui m’a détruit”
Rebelote à Mouscron, où son entraîneur Hugo Broos prend pourtant soin de lui. “Il m’a envoyé chez un psychologue du sport. Parfois, il me mettait sur le banc pour me protéger. J’espérais ne pas devoir monter au jeu.” Claeys dérape totalement. Il brosse des entraînements et commence à boire. Ivre, il provoque un accident de voiture et en vient aux mains avec la police. “C’est inadmissible, ce que j’ai fait. L’alcool combiné à la dépression forme un cocktail destructeur. Quand je sortais la nuit, je n’avais pas de limites. Je passais des journées entières au lit. Je me levais pour aller m’entraîner, quand j’avais le courage. Et parfois, je savais me motiver pour un match. Finalement, j’ai fait d’assez bonnes prestations, malgré mon style de vie répréhensible. Sans la protection de certaines personnes, qui savaient que je n’étais pas un mauvais gars, cela n’aurait pas été possible. Je n’étais pas accro à l’alcool, mais je m’en servais pour oublier et fuir la vérité. Après ma carrière, l’alcool a continué à ravager ma vie. Il est en partie à la base de mon divorce. Depuis un an et demi, je ne bois plus du tout. Je prends une bière sans alcool. Et très rarement, je savoure un petit verre de vin.”
”Idées noires, mais j’aimais trop vivre”
Sa fin de carrière, à Melbourne en 2006, ne met pas fin à ses problèmes mentaux. “Surtout dans la période de mon divorce, j’avoue avoir eu des idées noires. Je vous conseille de lire le livre du gardien allemand Robert Enke (NdlR : le gardien de Hanovre s’est suicidé en 2009). Mais moi, j’ai toujours eu cette petite lueur d’espoir qui me disait : j’aime trop la vie. Je me suis remis en question et j’ai trouvé un certain équilibre dans la vie. J’ose dire non à des gens et je me soigne. Je suis encore en thérapie. Ce qui me rend heureux, c’est de m’occuper de mes fils Novak qui a 14 ans et qui doit son nom à Djokovic et Lucás, 12 ans, qui joue au KV Ostende. Ils sont de grands supporters du Cercle, on sera au stade dimanche. La semaine où je ne les ai pas, je me prends des gifles. Quand je rentre chez moi, il n’y a personne. Mais je gère. J’ai aussi quitté le football, qui est un monde d’ego. J’étais T2 à Knokke, maintenant je vais suivre une formation pour accompagner et soutenir des jeunes avec des problèmes. Je trouve de la satisfaction en pouvant rendre service à autrui. Pour moi, c’est plus important que de gagner un match de foot…”