TRICHER N’EST PAS JOUERComment empêchera-t-on la triche aux JO de Paris ?

JO de Paris 2024 : Pour lutter contre la triche, les paris sportifs seront scrutés à la loupe (mais pas seulement)

TRICHER N’EST PAS JOUERSi les suspicions de manipulations sportives sont rares aux JO, elles font l’objet d’une vigilance toute particulière
Pour lutter contre la manipulation sportive, les paris mais également les performances sont scrutées (Photo d'illustration).
Pour lutter contre la manipulation sportive, les paris mais également les performances sont scrutées (Photo d'illustration). - JULIEN DE ROSA / AFP / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Si les affaires de manipulations sportives sont rares aux JO, la vigilance est de mise. Suivi des paris sportifs, analyse des performances, des risques... La lutte contre la triche est une science exacte.
  • Les disciplines individuelles générant beaucoup de paris, à l'instar des sports de raquettes sont les plus exposées.
  • Le délit de manipulation est puni de cinq ans de prison, voire de dix si cela est fait en bande organisée.

Bien sûr, côté pile, il y a l’esprit olympique, ses valeurs de sportivité, ses moments de grâce et ses combats titanesques. Le côté face est parfois un peu moins reluisant. Tous les quatre ans, une poignée d’affaires de tricherie viennent ternir cette image. A Londres, en 2012, huit joueuses de badminton ont été exclues de la compétition pour avoir fait exprès de perdre afin d’affronter par la suite des adversaires moins redoutables. Quatre ans plus tard, à Rio, ce sont trois boxeurs qui ont reçu un « blâme sévère » pour avoir parié sur des combats. L’un d’eux, un Irlandais, avait même parié… sur sa propre défaite. Mais, incroyable retournement de situation, le lendemain, il gagne.

« Il n’a pas manipulé le jeu, dans le sens où il n’a pas cherché à perdre, mais en pariant contre lui, il s’assurait de gagner de l’argent même s’il perdait », décrypte Corentin Segalen, coordinateur de la plateforme de lutte contre la manipulation des compétitions sportives.

Si ces affaires sont rarissimes, elles font l’objet d’une extrême vigilance. « Notre objectif est d’intervenir le plus tôt possible, dans l’idéal avant même que le jeu ait lieu », précise celui qui est également expert au sein de l’Autorité nationale des jeux (ANJ). Car, à l’entendre décortiquer les mécanismes de manipulation, la triche serait une science relativement précise. D’abord, certains matchs sont plus à risque que d’autres : ceux, par exemple, où perdre assurerait de se trouver dans une meilleure partie de tableau. Raison pour laquelle, pour ces JO, vingt-quatre pays se sont unis pour faire de l’analyse des risques autour de tous les sports. L’Australie surveillera la voile, les Britanniques, la boxe, les Etats-Unis scruteront le basket…

Sports « à risque »

Certains sports sont également considérés comme plus « à risque ». « D’une manière générale, il est plus facile de corrompre dans les sports individuels que collectifs. Surtout, lorsqu’il s’agit d’une équipe nationale qui réunit des joueurs qui n’évoluent pas ensemble au quotidien », note le commissaire Stéphane Piallat, à la tête du service courses et jeux de la police judiciaire. Certains sports présents aux JO sont peu rémunérateurs pour les sportifs, ce qui peut créer des tentations.

Les sports de raquettes, notamment le badminton ou le ping-pong, sont considérés comme plus exposés. « Ce sont des disciplines dans lesquelles il n’y a qu’une personne à corrompre et sur lesquelles on peut parier sur tous les points, note Corentin Segalen. D’une manière générale, les sports à risques sont ceux qui engendrent énormément de paris. » Or, ces disciplines sont très populaires en Asie et il n’est pas rare que, là-bas, les mises atteignent plusieurs milliers voire dizaine de milliers d’euros.

Et c’est bien là l’un des principaux leviers pour lutter contre la manipulation des compétitions : scruter les paris sportifs. Certes, les montants générés n’ont rien à voir avec des compétitions comme la Coupe du monde de football. En France, le mondial 2022 au Qatar a généré un milliard d’euros de mises… contre 90 millions pour les JO de Tokyo. Pour cette édition française, les autorités estiment toutefois que jusqu’à 500 millions d’euros pourraient être misés dans l’Hexagone.

« Mais les JO sont une compétition à part et ce n’est pas parce qu’il y a moins de paris qu’il y a moins de risques », précise l’expert de l’ANJ. Depuis plusieurs mois déjà, des formations sont dispensées auprès des professionnels pour les aiguiller en cas de suspicions. Une vaste campagne d'information a également été lancée, notamment à destination des bénévoles, car comme toutes les personnes accréditées, ils n'ont pas le droit de parier pendant les JO.

Analyse des paris et des performances

La compétition se tenant en France, les autorités peuvent également être sollicitées par des services étrangers pour des paris suspects repérés sur leur territoire. « Si un pays a des doutes sur un match, nous pouvons être appelés pour faire les premières constatations », précise le commissaire Stéphane Piallat. C’est bien là le propre de ces affaires : leur dimension internationale, souvent orchestrée par des réseaux criminels chevronnés. Ce caractère mondialisé a poussé 44 pays à s’unir et mettre en commun leurs données. Ainsi, la chute brutale d’une cote, des mises suspectes car massives, émises dans certaines régions du globe ou de la part comptes jusqu’alors dormants sont autant d’éléments qui vont retenir l’attention.

Ces analyses sont combinées aux performances sportives des athlètes dans le viseur. « Si quelqu’un a, par exemple, l’habitude de courir à 40km/h et n’est qu’à 25 le jour en question ou qu’il multiplie les erreurs techniques grossières, cela peut nous aiguiller. Surtout dans un sport collectif, quand il s’agit d’identifier quelqu’un », précise Corentin Segalen. Parfois, c’est le comportement d’un arbitre ou même celui d’un entraîneur qui prend des décisions mettant en difficulté son équipe qui est visée.

Mais comment faire la distinction entre un joueur passé à côté de son match et un autre qui aurait été payé pour le perdre ? Une fois saisis, les enquêteurs cherchent à mettre en lumière des mouvements d’argent suspects, des échanges d’informations ou des liens entre les parieurs et les joueurs. « C’est une enquête judiciaire assez classique. On va rechercher des preuves », insiste le commissaire Piallat. Et les risques sont gros : le délit de manipulation est puni de cinq ans de prison, voire de dix si cela est fait en bande organisée.

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